Alors que se déroule la conférence National du Handicap, plus de 60 conseillères et conseillers départementaux, maires et parlementaires ont décidé d’unir leurs voix dans une tribune pour faire entendre la nécessité d’un le virage “inclusif” qui ne doit laisser personne au bord du chemin. Or, dans le contexte politique actuel où la réduction de la dépense publique fait office de politique, le virage « inclusif » annoncé par le Gouvernement fait d’abord craindre une volonté d’économies budgétaires.
Si des voix s’élèvent, pour appeler la France à « dés-institutionnaliser » sa politique du handicap, c’est-à-dire à cesser de construire, voire à fermer, les établissements spécialisés dans la prise en charge des personnes en situation de handicap, rappelons que la Seine-Saint-Denis accuse le déficit le plus important de métropole avec un taux d’équipement 3 fois inférieur à la moyenne nationale. Faute de possibilité d’accueil dans des établissements, la responsabilité des accompagnements se déporte sur d’autres institutions. C’est le cas de l’Ecole par exemple, vers laquelle sont orientés les enfants, y compris ceux avec les handicaps les plus lourds. On compte en Seine-Saint-Denis, près de 2500 enfants en attente d’un AESH. Parmi ces enfants, seulement 1 sur 5 est scolarisé à temps plein, et 44% ne sont pas scolarisés du tout.
La France doit permettre à toutes les personnes en situation de handicap de choisir leur lieu et leurs conditions de vie. L’inclusion en « milieu ordinaire » doit évidemment être facilitée, mais elle ne peut pas constituer une solution par défaut, faute d’investissement de la nation dans des alternatives médico-sociales de qualité. La CNH doit être l’occasion d’annoncer un investissement massif pour rattraper et développer l’offre à destination des enfants et des adultes en situation de handicap, notamment dans les territoires les plus carencés.
Dans quelques jours, aura lieu la Conférence Nationale du Handicap, qui sera l’occasion d’affirmer les ambitions de la France en matière de handicap pour les années à venir.
Des voix s’élèvent, en particulier au sein des institutions internationales, pour appeler la France à « dés-institutionnaliser » sa politique du handicap, c’est-à-dire à cesser de construire, voire à fermer, les établissements spécialisés dans la prise en charge des personnes en situation de handicap. Cette recommandation rejoint la volonté légitime de nombreuses personnes en situation de handicap d’accéder à un mode de vie moins stigmatisant et plus autonome : rester à domicile auprès de leur famille, être scolarisées dans des classes ordinaires, accéder à des emplois de droit commun, bref, être pleinement incluses dans la société.
Nous défendons avec force ce projet de société inclusive. A condition seulement qu’il soit gage de qualité, que la possibilité de choisir demeure et que cela corresponde aux besoins des personnes en situation de handicap. Or, dans le contexte politique actuel où la réduction de la dépense publique fait office de politique, le virage « inclusif » annoncé par le Gouvernement fait d’abord craindre une volonté d’économies budgétaires.
Surtout, le manque d’établissements produit, dans la pratique, des résultats dramatiques pour les personnes concernées, ainsi que peuvent déjà l’observer certains territoires très fortement carencés en solutions médico-sociales. C’est le cas de la Seine-Saint-Denis, qui accuse le déficit le plus important de métropole avec un taux d’équipement trois fois inférieur à la moyenne nationale.
De fait, la notion de « handicap » recouvre aujourd’hui des situations très diverses, dont un grand nombre qui continuent à nécessiter un accompagnement dans les gestes et situations du quotidien.
Faute de possibilité d’accueil dans des établissements, ou d’accompagnement à domicile par des services professionnels spécialisés, la responsabilité de cet accompagnement se déporte sur d’autres institutions, elles-mêmes souvent fragilisées. C’est le cas de l’Ecole, vers laquelle sont orientés les enfants, y compris ceux qui présentent les handicaps les plus lourds, sans pour autant que l’appui d’un Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap ne leur soit bien souvent proposé. On compte aujourd’hui, pour la seule Seine-Saint-Denis, près de 2500 enfants en attente d’un AESH. Les conséquences sont catastrophiques : parmi ces enfants, seulement un sur cinq est scolarisé à temps plein, et 44% ne sont pas scolarisés du tout. Faute de moyens, ces enfants subissent une scolarité dégradée, en pointillés, que l’on ne saurait absolument pas qualifier d’ordinaire et encore moins d’inclusive.
Le déficit de solutions médico-sociales revient également, et peut-être surtout, à s’appuyer beaucoup plus fortement sur la famille. Les «aidants familiaux» sont de plus en plus sollicités pour assurer l’essentiel de l’accompagnement, avec le poids très lourd que cela fait peser sur eux.
Une enquête réalisée récemment par le Département auprès des 2500 familles en attente d’une place en établissement pour leur enfant montre que, dans 57% des familles concernées, l’un des deux parents a dû arrêter de travailler pour s’occuper à plein temps de leur enfant ; dans 93% des cas, il s’agissait de la mère. Ces résultats viennent nous rappeler que les aidants sont presque toujours, en réalité, des aidantes, et que « l’émancipation » des uns se fait aujourd’hui trop souvent au détriment de leurs mères, de leurs sœurs, de leurs épouses ou de leurs filles.
Cette situation est d’autant plus injuste qu’elle pénalise en particulier les familles les plus fragiles, pour qui l’accompagnement d’un enfant en situation de handicap lourd se transforme trop souvent en chemin de croix : les familles monoparentales, celles qui vivent sous le seuil de pauvreté, celles qui viennent d’arriver sur le territoire et ne disposent pas d’un entourage proche pour les appuyer, celles qui vivent dans des logements trop exigus pour permettre l’intervention d’intervenants spécialisés, celles qui peinent à accéder aux soins, parfois du fait de la fracture numérique ou de la barrière de la langue, celles qui n’ont pas les ressources sociales ou financières pour proposer quotidiennement à leur proche des activités stimulantes et de qualité.
Pour ces familles, il devient alors malheureusement fréquent que l’absence de possibilité d’accueil en établissement entraîne un phénomène d’épuisement voire de maltraitance parentale, pouvant conduire à une décision de placement de l’enfant au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance : en Seine-Saint-Denis, ce sont près de 10% des enfants placés à l’ASE – soit 900 enfants – qui sont en situation de handicap. Sans oublier la situation, de plus en plus fréquente, des personnes handicapées âgées qui vieillissent à domicile, accompagnées au quotidien par des parents qui deviennent eux-mêmes dépendants.
Les difficultés que connaît notre pays, et dont la Seine-Saint-Denis montre un condensé, peuvent difficilement constituer l’horizon désirable de la politique française en matière de prise en charge du handicap. La France doit permettre à toutes les personnes en situation de handicap de choisir leur lieu et leurs conditions de vie. Ces choix doivent d’ailleurs pouvoir évoluer au fil de leurs besoins et de leur parcours de vie. L’inclusion en « milieu ordinaire » doit évidemment être facilitée et encouragée, mais elle ne peut pas constituer une solution par défaut, faute d’investissement de la nation dans des alternatives médico-sociales de qualité. Ce que nous devons avant tout aux personnes en situation de handicap et à leurs familles c’est la possibilité d’un choix libre, qui ne soit ni l’assignation à l’établissement ni l’assignation au domicile. Voilà la société inclusive à laquelle nous aspirons.
Ce virage ne pourra pas être pris sans y mettre les moyens suffisants. La CNH doit être l’occasion d’annoncer un investissement massif pour rattraper et développer l’offre à destination des enfants et des adultes en situation de handicap, au bénéfice notamment des territoires les plus carencés : il manque en Seine-Saint-Denis près de 5000 places par rapport à la moyenne nationale. Un tel plan doit aussi être l’occasion pour les autorités publiques d’inventer l’établissement médico-social de demain.
Loin de l’institution paternaliste, stigmatisante et fermée sur elle-même que nous avons connue par le passé, il faut repenser des espaces qualitatifs, ouverts sur le monde extérieur, qui mettent au cœur de leur projet l’autonomie et l’autodétermination des personnes. Les personnes accompagnées, leurs familles, les gestionnaires, sont prêts à prendre ce virage. Ils en ont tout simplement besoin, et notre société aussi !
Les signataires :
François Asensi, Maire de Tremblay-en-France
Eliane Assassi, Sénatrice, Présidente du groupe CRCE
Nadia Azoug, Conseillère départementale
Zartoshte Bakhtiari, Maire de Neuilly-sur-Marne
Laurent Baron, Maire du Pré-Saint-Gervais
Bélaïde Bedreddine, Conseiller départemental
Lionel Benharous, Maire des Lilas
Bruno Beschizza, Maire d’Aulnay-sous-Bois, Président de Paris Terres d’Envol
Patrice Bessac, Maire de Montreuil, Président d’Est-Ensemble
Stéphane Blanchet, Maire de Sevran
Jean-Baptiste Borsali, Maire du Bourget
Karim Bouamrane, Maire de Saint-Ouen-sur-Seine
Soumya Bourouaha, Députée
Sylvia Capanema, Conseillère départementale
Vincent Capo-Canellas, Sénateur
Tessa Chaumillon, Conseillère départementale
Hervé Chevreau, Maire d’Epinay-sur-Seine
Emmanuel Constant, Conseiller départemental
Eric Coquerel, Député, Président de la Commission des Finances
Alexis Corbière, Député
Rolin Cranoly, Maire de Gagny
François Dechy, Maire de Romainville
Dominique Dellac, Conseillère départementale
Christian Demuynck, Maire de Neuilly-Plaisance
Frédérique Denis, Conseillère départementale
Tony Di Martino, Maire de Bagnolet
Corentin Duprey, Conseiller départemental
Dieunor Excellent, Maire de Villetaneuse
Jean-Paul Fauconnet, Maire de Rosny-sous-Bois
Oriane Filhol, Conseillère départementale
Michel Fourcade, Maire de Pierrefitte-sur-Seine
Karine Franclet, Maire d’Aubervilliers
Raquel Garrido, Députée
Fabien Gay, Sénateur
Quentin Gesell, Maire de Dugny
Elodie Girardet, Conseillère départementale
Mohamed Gnabaly, Maire de L’Île-Saint-Denis
Daniel Guiraud, Conseiller départemental
Mathieu Hanotin, Maire de Saint-Denis, Président de Plaine Commune
Stéphen Hervé, Maire de Bondy
Fatiha Keloua-Hachi, Députée
Bertrand Kern, Maire de Pantin
Pascale Labbé, Conseillère départementale
Aude Lagarde, Maire de Drancy
Pierre Laporte, Conseiller départemental
Emilie Lecroq, Conseillère départementale
Xavier Lemoine, Maire de Montfermeil, Président de Grand Paris Grand Est
Séverine Maroun, Conseillère départementale
Frédéric Molossi, Conseiller départemental
Mathieu Monot, Conseiller départemental
Stéphane Peu, Député
Thomas Portes, Député
Gilles Poux, Maire de La Courneuve
Abdel Sadi, Maire de Bobigny
Zaïnaba Said Anzum, Conseillère départementale
Olivier Sarrabeyrouse, Maire de Noisy-le-Sec
Eric Schlegel, Maire de Gournay-sur-Marne
Azzédine Taïbi, Maire de Stains
Magalie Thibault, Conseillère départementale
Ludovic Toro, Maire de Coubron
Stéphane Troussel, Président du Département de la Seine-Saint-Denis
Aurélie Trouvé, Députée
Mélissa Youssouf, Conseillère départementale